Agenda médiatique et pollution de l’air

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La pollution de l’air en milieu urbain varie d’un jour sur l’autre, en fonction de l’activité des différentes sources et des conditions météorologiques. Quelles sont les variations temporelles de l’intensité du traitement médiatique relatif à la pollution atmosphérique ? Existe-t-il une corrélation entre les deux ?


Sommaire :
L’évolution temporelle du niveau de pollution
Les variations temporelles de l’intensité médiatique
Du bruit de fond à l’alerte médiatique
Conclusion

Ce texte est une exploitation de la thèse de [->art645] [[Mathieu JAHNICH (2003), Le traitement médiatique d’un risque pour la santé. Étude d’un cas : le problème des gaz d’échappement. Thèse de doctorat en Didactique des sciences et des techniques, préparée à l’UMR « Sciences, Techniques, Éducation, Formation », ENS de Cachan, 546 p.]]. Ce travail repose notamment sur l’exploitation de plus de 1300 documents diffusés par les médias Français en 2000 sur le thème de la pollution de l’air :

  • articles de la presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle nationale et parisienne (Le Parisien, Le Figaro, Le Monde, Les Échos, Libération, L’Express, Marianne…) – 708 articles ;
  • magazines et nouvelles de journaux télévisés des 7 chaînes hertziennes de l’époque (TF1, France 2, France 3 National et Paris – Île-de-France – Centre, Canal +, La Cinquième, Arte et M6) – 441 documents visuels ;
  • chroniques et nouvelles de journaux parlés des grandes radios françaises (France Info, France Inter, Radio Bleu, BFM, Europe 1…) – 213 documents sonores.

Concernant les émissions télé et radio, la sélection a été faite en utilisant la base de données de l’Institut National de l’Audiovisuel et les archives Internet des médias (les radios notamment). Les articles de presse ont été réunis grâce au service de documentation de la Direction de la Protection de l’Environnement de la Mairie de Paris.

L’évolution temporelle du niveau de pollution

La qualité de l’air n’est pas constante dans le temps : elle évolue en fonction de l’activité des différentes sources et des conditions météorologiques. Calculé tous les jours par Airparif, l’indice Atmo caractérise la qualité de l’air dans l’agglomération parisienne. Il prend en compte les niveaux de concentration de quatre indicateurs : le dioxyde de soufre (caractéristique de la pollution d’origine industrielle), le dioxyde d’azote et les particules fines (qui sont essentiellement produits par les automobiles) et l’ozone (qui caractérise la pollution photochimique).

Cet indice a été mis au point au début des années 1990 par un groupe d’experts réunis sous la houlette du Ministère de l’Environnement avec pour objectif de faciliter l’information du grand public concernant la qualité de l’air dans une zone de pollution homogène. L’échelle de mesure est graduée de 1 (qualité de l’air très bonne) à 10 (qualité de l’air très mauvaise). Les valeurs de l’indice pour chaque jour de l’année 2000 ont été relevées sur le site Internet d’Airparif [[À la rubrique « historique des indices » de leur site Internet [www.airparif.asso.fr]]] et reportées sur le graphique ci-dessous.

| Évolution temporelle du niveau de pollution en IDF / 1er trimestre 2000 |
| Évolution temporelle du niveau de pollution en IDF / 2e trimestre 2000 |
| Évolution temporelle du niveau de pollution en IDF / 3e trimestre 2000 |
| Évolution temporelle du niveau de pollution en IDF / 4e trimestre 2000 |

La forme de l’évolution temporelle du niveau de pollution est caractéristique : une succession de dents, séparées ou non par des paliers de quelques jours. Pendant plus de 300 jours de l’année 2000, l’indice a été inférieur ou égal à 4 (niveau de « base » de la pollution). Les autres jours peuvent être considérés comme des pics de pollution soit, en tout, une trentaine de pics d’une durée de 1 à 5 jours consécutifs et d’une intensité de 5 à 8 sur l’échelle Atmo. Ces éléments sont présentés de manière synthétique dans le tableau ci-après.

Liste des pics de pollution (indice Atmo supérieur ou égal à 5) survenus pendant l'année 2000.

Précisons que la présence de pointes de pollution ne doit pas occulter l’importance de la pollution de fond. En effet, de faibles concentrations de polluants ont des effets néfastes sur la santé de la population exposées, en particulier si elles sont fragiles. En outre, l’indice Atmo est un indicateur de la qualité de l’air à l’échelle de l’agglomération (indicateur global), il ne nous renseigne pas sur la qualité de l’air de proximité (près d’un axe de circulation par exemple).

Les variations temporelles de l’intensité du traitement médiatique

Connaissant les variations temporelles du niveau de pollution, quelles sont les variations temporelles de l’intensité du traitement médiatique et existe-t-il une corrélation entre les deux ?

Pour identifier la forme des variations temporelles de l’intensité du traitement médiatique, l’évolution d’une variable a été tracée : le nombre de documents, relatifs à la pollution de l’air, qui ont été diffusés chaque jour de l’année 2000 à la radio, à la télévision et dans la presse. Nous n’avons tenu compte ni du canal de diffusion (par exemple : TF1, France 2, France 3… pour la télévision) ni du type de document (animation, journal télévisé, magazine…). À titre d’exemple, quatre documents relatifs à la pollution de l’air ont été diffusés le dimanche 12 mars 2000 :

  • une brève en image durant le journal télévisé « Le six minutes » sur M6 ;
  • un reportage et un plateau extérieur durant le magazine « France Europe Express » sur France 3 ;
  • une brève pendant le journal parlé de 19h de France Info ;
  • mais aucun article de presse publié ce jour là.

La ligne brisée obtenue (voir graphiques ci-après) adopte la même allure que celle caractérisant le niveau de pollution : elle est irrégulière, en dents de scie, avec un nombre de dents plus ou moins important et des dents plus ou moins pointues suivant les dates considérées. On constate que l’intensité du traitement médiatique varie fortement au cours du temps : certains jours, comme les 27 et 28 février 2000, aucun document relatif à la pollution n’est diffusé, alors que plusieurs dizaines ont été publiés à la fin du mois de septembre (29 et 62 documents respectivement les 22 et 28 septembre 2000).

| Évolution temporelle de l'intensité du traitement médiatique / 1er trimestre 2000 |
| Évolution temporelle de l'intensité du traitement médiatique / 2e trimestre 2000 |
| Évolution temporelle de l'intensité du traitement médiatique / 3e trimestre 2000 |
| Évolution temporelle de l'intensité du traitement médiatique / 4e trimestre 2000 |

Du bruit de fond à l’alerte médiatique

Tout l’intérêt de ces courbes est de pouvoir maintenant les comparer entre elles pour étudier une éventuelle corrélation entre la valeur de l’indice Atmo et l’intensité du traitement médiatique [[Si l’indice Atmo est un indicateur de la qualité de l’air en Île-de-France, le nombre de documents publiés chaque jour est un indicateur de la couverture médiatique régionale et nationale. La comparaison est toutefois possible puisque, comme cela a été démontré dans la thèse, les médias nationaux abordent fréquemment le problème de la pollution de l’air à Paris et dans sa région. La région Île-de-France possède une attractivité médiatique indéniable…]].

Les échelles verticales étant différentes, la comparaison entre les deux lignes brisées consiste simplement à situer les pics les uns par rapport aux autres. Les pics de pollution et d’information sont-ils simultanés ou, au contraire, se produisent-ils à des dates différentes ?

| Corrélation éventuelle entre niveau de pollution et niveau de médiatisation / 1er trimestre 2000 |
| Corrélation éventuelle entre niveau de pollution et niveau de médiatisation / 2e trimestre 2000 |
| Corrélation éventuelle entre niveau de pollution et niveau de médiatisation / 3e trimestre 2000 |
| Corrélation éventuelle entre niveau de pollution et niveau de médiatisation / 4e trimestre 2000 |

Certains pics de pollution sont accompagnés ou suivis [[Il faut tenir compte du délai entre la transmission par Airparif de l’information aux agences de presse et aux services concernés et sa diffusion par les médias.]] de pics d’information. Ces pics correspondent alors à des alertes médiatiques. C’était le cas par exemple les 10 et 11 janvier, les 26 et 27 janvier et les 2 et 3 juin 2000. On peut alors se demander si la réponse médiatique est proportionnelle à l’élévation du niveau de pollution. En d’autres termes, peut-on vraiment dire que plus le pic de pollution est fort, plus les médias réagissent ?

La réponse est non. En effet, le 12 août, l’indice Atmo atteint la valeur 8 (qualité de l’air mauvaise), ce qui est le maximum de l’année (atteint à 3 reprises au cours de l’année) et pourtant très peu de documents ont été recensés avant le pic (prévention), pendant ou après le pic : trois documents le 10 août, deux le 11 août, un seul les 12 et 13, et quatre le 14. En effet, ces jours-là, les journalistes étaient focalisés sur la sécurité routière à la veille du week-end du 15 août ainsi qu’aux dernières opérations de pompage du fuel de l’Erika comme en témoignent les titres des journaux télévisés des différentes chaînes hertziennes. On peut alors parler de silence médiatique en matière de pollution. Une telle absence de réponse médiatique à une augmentation du niveau de pollution se retrouve plusieurs fois dans l’année, par exemple :

  • entre le 21 et le 23 mars, le nombre total de documents est faible (entre 3 et 5 documents) alors que l’indice Atmo varie entre 5 et 8 : tous les regards sont tournés vers la visite du Pape Jean-Paul II en Israël ;
  • la grève des convoyeurs de fond qui exigent la reconnaissance de leur métier de plus en plus exposé, et la pénurie des billets de banque, occultent le pic de pollution de la mi-mai (moins de quatre documents) ;
  • la période du 23 au 26 août est marquée par la journée de deuil national en Russie suite au naufrage du sous-marin Koursk ainsi qu’au début de la grogne des marins pécheurs qui protestent contre la hausse des prix du carburant et bloquent certains ports de pêche (Sète, Boulogne-sur-Mer…), le pic de pollution des 24 et 25 août passe presque inaperçu (moins de trois documents).

Certains pics de pollution ne sont donc pas accompagnés de pics médiatiques mais l’inverse existe également et ce cas est même fréquent : une forte intensité du traitement médiatique alors que la qualité de l’air est bonne. On peut alors parler d’effervescence médiatique et il faut s’intéresser aux contenus des documents concernés pour expliquer l’engouement soudain des journalistes. Le tableau ci-après relate les événements qui ont suscité l’intérêt des médias au fil de l’année 2000.

| Date (année 2000) | Nature de l’événement attracteur du débat public |
| 19 et 20 janv. | Annonce le 19 janvier par le Premier Ministre Lionel Jospin de mesures gouvernementales de lutte contre l’effet de serre.
Bilan : 15 et 22 documents [[Il existe un décalage entre la diffusion des nouvelles à la télé ou la radio et les articles de presse. En l’occurrence, l’annonce du Premier Ministre a été faite en milieu de journée : seules les radios et les télévisions ont pu reprendre et commenter la nouvelle dans leurs journaux du 19 janvier au soir (15 documents télé et radio, aucun article de presse). Le lendemain, la nouvelle apparaît dans la presse (13 articles publiés) et continue a être commentée à la télé et à la radio (9 documents).]] alors que le niveau de pollution
est faible (indice 4) |
| 7 et 11 sept. | La crise des routiers de début septembre et les concessions [[Notamment la suppression de la vignette pour les véhicules particuliers et l’abandon de la politique fiscale sur le gazole (augmentation du prix du litre du gazole de 7 centimes chaque année pour rattraper le prix de l’essence).]] de Jean-Claude Gayssot provoquent une secousse politique au sein de la majorité plurielle et une couverture médiatique
en conséquence (16 documents pour ces 2 jours) |
| 21 juin | Dominique Voynet, Ministre de l’Environnement,
fait une communication en Conseil des Ministres sur la politique
de lutte contre la pollution de l’air en milieu urbain [[En ce qui concerne ces deux derniers exemples, il faut signaler que le contenu des communications gouvernementales est connu des journalistes quelques jours avant leur diffusion  » officielle « . Des pré-pics sont ainsi repérables sur le graphe les 11 janvier et 19 juin.]]
(indice 4, jusqu’à 14 documents) |
| 21 sept. | Déroulement de l’opération « En ville sans ma voiture ? »
(indice 3, 25 documents) |
| 28 sept. | Parution d’un numéro spécial de Courrier International consacré à l’opération  » En ville sans ma voiture ?  » et plus précisément sur les opérations similaires menées dans différentes villes du monde (indice 3, 53 documents) |
| 13 au 27 nov. | Au mois de novembre, alors que le niveau de pollution est faible et stable, la conférence mondiale sur les changements climatiques de La Haye mobilise fortement les journalistes pendant plus de quinze jours : chaque début de semaine est très marqué
(26 et 18 documents pour les 13 et 14 novembre, 19 documents pour les 20 et 21 novembre). Les commentaires qui suivent la fermeture, et l’échec, de la conférence sont également nombreux le lundi 27 novembre 2000 (20 documents) |
| 18 et 19 déc. | Jean-Pierre Duport, le Préfet de la Région Île-de-France, annonce le 18 décembre son plan de réduction de la circulation automobile dans la région et notamment dans la capitale
(indice Atmo égal à 3 mais 16 et 11 documents les 18 et 19 déc.) |

Conclusion

Finalement, l’intensité du traitement médiatique relatif à la pollution de l’air évolue en dent de scie au cours de l’année : un bruit de fond parsemé de pics d’information. Ces pics sont qualifiés d’alerte médiatique lorsqu’ils sont corrélés avec les pics de pollution ; dans ce cas, les médias relaient l’alerte à la pollution (avec notamment les conséquences pour les automobilistes et les personnes sensibles).

Certains pics de pollution ne sont pas accompagnés de pics d’information, c’est le silence médiatique : les journalistes focalisent leur attention sur d’autres événements jugés plus importants (la visite du Pape en Israël, par exemple). Par ailleurs, certains pics d’information se produisent alors que la qualité de l’air est bonne, c’est l’effervescence médiatique : des événements particuliers suscitent l’intérêt des journalistes pour le problème de la pollution atmosphérique (par exemple l’annonce d’un plan de lutte contre l’effet de serre). Ce travail met donc en évidence le fameux agenda médiatique : le lien entre la situation conjoncturelle et les sujets diffusés par les médias.

Une fois ces éléments identifiés, il est possible de se focaliser sur l’un d’entre eux et de mettre en évidence, par exemple, les caractéristiques de l’alerte médiatique et du bruit de fond relatif à la pollution atmosphérique. Les résultats de ces analyses seront bientôt mis en ligne sur SIRCOME.

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